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30.
avril
2025

Le rire contre le trac

Jörg Wetzel a accompagné le Swiss Olympic Team en tant que psychologue du sport et d’urgence lors de dix Jeux Olympiques, de Turin 2006 à Paris 2024. Qu’est-ce qui a changé depuis ses débuts? Et comment les athlètes parviennent-ils à réaliser leurs meilleures performances lorsque la pression est à son comble? Réflexions personnelles et anecdotes sur la nouvelle légèreté d’un sujet supposé difficile.

«La tireuse Chiara Leone a remporté la médaille d’or aux Jeux Olympiques de Paris entre autres parce qu’elle avait appris à garder une distance saine par rapport à son grand objectif. En cours de route, je lui avais par exemple donné le conseil suivant: "Quand tu tires, Chiara, pense au centre. Car c’est ainsi: plus tu tires près du centre, plus tu marques de points." Je lui avais aussi régulièrement fait comprendre la chose suivante: je trouve que devenir championne olympique est important. Mais ce n’est pas si important que cela. Et tout son staff – en particulier son entraîneur – a adopté cette même attitude: elle va marquer. Et si elle ne marque pas, ce n’est pas si grave. 

Elle a souri, est sortie, a frappé au centre et a remporté l’or. 

C’est une question de légèreté, d’humour aussi. L’objectif est de créer un environnement dans lequel l’athlète peut se sentir à l’aise, en sécurité et se ressourcer. La scène olympique est la plus grande, et auparavant on enseignait aux athlètes: les Jeux Olympiques, c’est complètement différent, c’est maintenant que ça se joue, c’est maintenant que tu dois être à la hauteur. Cela augmentait la pression, déjà énorme. 

Or, il ne suffit pas d’appuyer sur un bouton pour être léger. C’est un processus qui dure des années, avec beaucoup de pratique. Je travaille depuis très longtemps avec les tireuses, nous avons pratiqué l’art de prendre du recul. Ne pas se prendre soi-même au sérieux, ne pas prendre les choses au sérieux. Nous avons travaillé là-dessus lors de séminaires et d’ateliers, organisé des événements d’équipe, fait de la brioche ensemble, ri ensemble.  

“Même dans les sports individuels, il est possible de tirer beaucoup de force de l’équipe.”

Pour moi, il est essentiel que cette attitude soit également vécue de manière authentique par le staff. Il faut les bonnes personnes à bord. Derrière cela se cache la conviction que l’environnement est un facteur décisif pour le développement de la personnalité et l’exploitation de son propre potentiel. L’environnement a toujours un effet. Si tu es nerveux, les athlètes le seront aussi. Et si tu es détendu, cela les aide. L’équipe est le foyer des athlètes, elle leur offre force et sécurité. Même dans les sports individuels, il est possible de tirer beaucoup de force de l’équipe. C’est pourquoi, depuis huit ans, je travaille surtout en équipe avec les tireuses et seulement de manière marginale individuellement. C’est le cas pour de nombreux autres clients dans le sport. 

Succès d’équipe: Jörg Wetzel (à gauche) avec Chiara Leone, sa médaille d’or et le staff de Swiss Shooting.

Succès d’équipe: Jörg Wetzel (à gauche) avec Chiara Leone, sa médaille d’or et le staff de Swiss Shooting.

“La légèreté ne fait pas tout, mais sans légèreté, c’est difficile.”

De manière générale, je me suis un peu éloigné des méthodes psychologiques classiques des manuels scolaires, comme la visualisation ou la gestion de la pensée, et je travaille davantage avec des approches dites hypnosystémiques, qui font appel à l’inconscient. Mais en fin de compte, mon travail se résume toujours sur la question suivante: quel est le sujet? Et quelle est la bonne méthode? Il existe toute une série de méthodes, parfois l’hypnose aide, parfois non, il faut considérer chaque personne et chaque situation dans leur globalité. La légèreté ne fait pas tout, mais sans légèreté, c’est difficile. 

Le plan d’évasion 

Et c’est justement avec l’expérience que vient la légèreté. Les grands événements sont des situations exceptionnelles qui ne peuvent être simulées que dans une certaine mesure, les jeunes entraîneures sont souvent plus nerveuses que les athlètes mêmes. Plus j’ai acquis de l’expérience, plus il m’a été facile de faire preuve de légèreté, et j’ai beaucoup appris des chefs d’équipe expérimentés. 

Un jour, tu sais quand tu peux ou dois quitter la voie rationnelle et «correcte» pour soulager quelqu’un. En 2021 à Tokyo, par exemple, la tireuse Nina Christen se sentait épuisée et tendue juste avant la finale du 50 m trois positions. Elle avait déjà remporté la médaille de bronze au tir à la carabine à air comprimé et disait qu’elle se sentait sans énergie et qu’elle préférerait ne plus tirer du tout. Je lui ai répondu que je comprenais tout à fait et que nous allions mettre en place un plan d’évasion: elle pouvait me donner son arme et disparaître par la porte de derrière pour prendre le bus, et je verrais avec l’équipe encadrante de Swiss Olympic pour qu’on la mette sur le prochain vol de retour. Nina s’est mise à rire en secouant la tête, puis a dit: "Tu es un farceur, bien sûr que je vais tirer." Ah d’accord, très bien aussi, ai-je dit. 

Avec la tireuse Nina Christen aux Jeux Olympiques de Tokyo.

Avec la tireuse Nina Christen aux Jeux Olympiques de Tokyo.

Sur place, dans un tel moment, faire preuve de légèreté avec authenticité est un art difficile qui requiert de l’expérience, du recul et du sang-froid. Je connais aussi le sentiment de tension qui s’empare de moi lorsque, après des années de préparation, le moment de la décision arrive. Moi non plus, je ne suis pas toujours à l’aise dans mon rôle.  

Nina Christen ne s’est pas contentée de tirer, elle a aussi remporté la première médaille d’or olympique en tir pour la Suisse depuis 1948. 

“Qu’est-ce que tu veux dire, s’amuser un peu, avoir un environnement cool, et en plus se faire payer?”

Que les choses soient claires: derrière les succès de Chiara et Nina, il y a énormément de travail et des milliers d’entraînements intensifs. Les conditions ont été optimisées, par exemple avec le nouveau centre de performance national à Macolin, et toute l’équipe a beaucoup investi pour réussir. Mais la légèreté et l’humour constituent des éléments importants. Aujourd’hui, je considère que cultiver ces éléments dans l’environnement fait partie de ma fonction. 

Si je l’avais dit à un chef d’équipe il y a 25 ans, il m’aurait répondu: "Qu’est-ce que tu veux dire, s’amuser un peu, avoir un environnement cool, et en plus se faire payer?" Aujourd’hui, quand quelqu’un réagit ainsi, je dis: Oui. Exactement. Pas toi? Allez, on fait comme ça. Dans ce climat, il est beaucoup plus facile d’être performant et de réussir. 

Dans le foot c'était plus dificile

J’ai donc dû me battre pour obtenir ma fonction au fil des ans, et j’ai aussi dû encaisser, cela concerne mon travail de psychologue du sport en général. En particulier avec Ralph Stöckli, Chef de Mission de Swiss Olympic, j’ai trouvé un promoteur qui a soutenu mon parcours. Et bien sûr, certains sports se sont ouverts bien plus tôt que d’autres aux aspects mentaux, notamment les sports de précision, comme le tir, le golf, le tennis ou le curling. Dans le football surtout, cela a longtemps été beaucoup plus difficile, tout comme le hockey sur glace. 

Il y a quelques années, j’ai été engagé par le SC Berne. J’ai dû entrer par la petite porte, et l’entraîneur principal finlandais de l’époque ne semblait pas très enthousiaste. Lors de notre première rencontre, il m’a jeté un regard furieux et tout le staff m’a largement ignoré. "Avec ce langage corporel, vous faites peur", ai-je dit, "si vous voulez que vos gars gagnent, vous devez regarder le monde avec plus de gentillesse." Le coach a trouvé cela drôle et le travail a pu commencer, toujours en groupes. Aujourd’hui, je travaille pour les SCL Tigers, le psychologue du sport est devenu tout à fait acceptable dans l’Emmental. 

Jörg Wetzel a ouvert la voie à la psychologie du sport en Suisse – ici en 2007 avec le pilote de moto Tom Lüthi à Shanghai. (Keystone)

Jörg Wetzel a ouvert la voie à la psychologie du sport en Suisse – ici en 2007 avec le pilote de moto Tom Lüthi à Shanghai. (Keystone)

“Mais tout le monde sait que c’est une lutte de sélection et que ce système ne laisse aucune place à la sensibilité.”

Peut-être que le pendule va maintenant basculer de l’autre côté. Lorsque le thème de la santé mentale devient un véritable phénomène de mode et est parfois utilisé à mauvais escient, par des athlètes non sélectionnés, par exemple, nous devons être vigilants. Personne n’est obligé de pratiquer du sport de performance, et le sport de compétition exige des performances de haut niveau. La personnalité est une condition essentielle pour atteindre ces performances, c’est pourquoi nous travaillons sur les personnalités, en mettant l’accent sur la santé mentale depuis 25 ans – bien avant que ce sujet ne fasse l’objet d’une grande attention médiatique. Mais tout le monde sait que c’est une lutte de sélection et que ce système ne laisse aucune place à la sensibilité. Je ne pense pas que la génération Z soit hypersensible. Je pense plutôt que certains de mes collègues de la génération X, encore actifs, se sont égarés avec leurs méthodes militaires. Dans une culture très réglementée, normalisée et contrôlée, il est difficile de faire preuve de légèreté. 

Quatre à cinq interventions par jour 

Ce n’est pas non plus comme si j’avais eu beaucoup plus à faire à Paris en 2024 qu’il y a 18 ans, lors de mes premiers Jeux à Turin en 2006. En moyenne, j’ai constamment eu entre 80 et 130 interventions par Jeux Olympiques, soit quatre à cinq par jour. Je suis principalement présent sur place en tant que psychologue d’urgence, je suis la personne de contact pour tous les membres de la délégation et j’interviens en psychologie du sport lorsque cela est nécessaire et judicieux. 

Souvent, ce sont les coaches qui ne savent pas comment gérer une situation, et j’essaie alors de les aider à gérer de manière ciblée les athlètes qui sont confronté à des troubles, à la peur ou au doute de soi pendant la préparation à la compétition. Mais il faut être conscient d’une chose: les personnes qui participent aux Jeux Olympiques ont dû faire preuve d’une telle résilience et d’une telle force mentale, en surmontant des obstacles et en essuyant des revers, qu’elles font inévitablement partie des personnes très robustes et résistantes.  

Torino 2006

Torino 2006

Vancouver 2010

Vancouver 2010

Sotschi 2014

Sotschi 2014

Tokyo 2021

Tokyo 2021

Paris 2024

Paris 2024

Le plus souvent, il s’agit de conflits: lorsque l’atmosphère se dégrade, les conflits éclatent beaucoup plus rapidement. Et comme les conflits consomment beaucoup d’énergie, il s’agit d’éteindre ces brasiers le plus tôt possible. Ils apparaissent souvent dans un climat où l’on développe une culture de la confiance. J’ai parfois constaté sur place qu’une équipe n’avait pas fait ses devoirs au préalable. Cela a pu m’énerver. En athlétisme, la composition des équipes de relais a notamment été un sujet sensible, car sur six candidates et candidats, seuls quatre peuvent finalement participer. Il y a eu quelques tensions et incohérences, même si la situation de départ était claire pour tout le monde. 

“J’ai passé des nuits blanches et vécu des moments difficiles, les plus éprouvants étant en 2010 à Vancouver.”

J’ai eu le privilège d’accompagner Swiss Olympic lors de dix Jeux Olympiques et de près de 30 événements olympiques au total, y compris les manifestations pour la relève, mais le doute de ne pas être à la hauteur des personnes et des situations ne vous quitte jamais complètement. J’ai passé des nuits blanches et vécu des moments difficiles, les plus éprouvants étant sans doute ceux que j’ai vécus en 2010 à Vancouver, lorsque j’ai dû m’occuper de deux cas difficiles en parallèle. Tout d’abord, des membres de l’équipe suisse ont assisté à la mort d’un lugeur géorgien lors d’un entraînement, après avoir heurté une barre d’acier. Peu de temps après, une athlète suisse a traversé une crise aiguë à la suite d’une perte personnelle. Dans le cas de ces interventions de crise, je travaille avec les personnes concernées pour les aider à surmonter l’événement en en parlant très ouvertement et en les aidant à exprimer toutes leurs émotions, leurs peurs, leurs doutes et leur douleur. 

Le meilleur pour la fin 

Pour pouvoir relever de tels défis, il faut se préparer mentalement de manière intensive aux Jeux. Il faut toujours garder les idées claires dans sa fonction et ne jamais se sentir trop sûr de soi. J’ai d’autant plus apprécié les moments où j’ai pu aider les athlètes à surmonter leurs difficultés et à réaliser de bonnes performances, quel que soit le résultat final. Mais les deux médailles d’or de Nina Christen et Chiara Leone font également partie de mes plus beaux souvenirs. Toutes les médailles ne brillent pas, mais celles-ci ont brillé de manière incroyable, c’étaient des victoires honnêtes. Le triomphe de Chiara a particulièrement mis en évidence l’esprit qui règne depuis des années au sein de l’équipe, sous sa forme la plus belle et la plus réussie – pouvoir faire partie de cette équipe a été un immense cadeau pour moi. Et la légèreté n’a pas manqué lors de la célébration. 

L’esprit d'équipe dans toute sa splendeur et son succès: célébrer avec Chiara Leone.

L’esprit d'équipe dans toute sa splendeur et son succès: célébrer avec Chiara Leone.

“Paris 2024 étaient mes derniers Jeux. Cela n’aurait pas pu mieux se terminer.”

Néanmoins, j’ai mis fin à ma collaboration avec la fédération de tir sportif. Mon intuition me disait qu’il était temps de changer, pour elle aussi. Il en va de même pour Swiss Olympic. Paris 2024 étaient mes derniers Jeux. Cela n’aurait pas pu mieux se terminer, Paris a célébré le sport sous ses plus beaux aspects et c’est donc avec légèreté que je prends congé.» 

Propos recueillis par Pierre Hagmann, équipe Médias de Swiss Olympic 

Sans filtre – Histoires du sport suisse

Sur le blog «Sans filtre – Histoires du sport», des personnalités du sport suisse racontent avec leurs propres mots des moments extraordinaires et des expériences marquantes. Des victoires et des défaites, dans la vie, comme dans le sport. Nous serions heureux de recevoir des suggestions de bonnes histoires, y compris les vôtres: media@swissolympic.ch