Retour Retour vers les missions olympiques Blog «Sans filtre»
Keystone-ATS
02. octobre 2025

Une histoire d’émotions

De ses débuts dans l’escrime en 2001 jusqu’à sa médaille européenne en 2025, la Neuchâteloise Pauline Brunner a vécu toutes sortes de moments intenses. Elle revient ici sur les plus marquants d’entre eux – entre victoires euphorisantes, échec définitif de ses études et roulés au chocolat de sa grand-mère. Un récit du sport de haut niveau, loin de l’argent et des projecteurs.

«Parfois, une carrière sportive ne se joue pas à grand-chose. J’ai commencé l’escrime en 2001, à l’âge de six ans et demi, alors que mes parents n’en faisaient pas – et qu’ils ne m’avaient pas proposé d’en faire. À La Chaux-de-Fonds, nous habitions à côté d’une salle d’escrime et régulièrement, je voyais des gens s’entraîner lorsque je me rendais à la piscine. Mais la natation, je n’aimais pas ça! J’ai donc demandé à mes parents de tester. Le fait de combattre avec ces masques, ces tenues blanches, je trouvais ça très beau et ça m’attirait. C’est ainsi que tout a commencé, et j’ai tout de suite croché.

Depuis, j’ai vécu – comme dans toute carrière sportive, j’imagine – des hauts et des bas: toutes sortes de doutes, de joies, de peines. Laissez-moi vous raconter cinq épisodes de mon parcours, parmi les plus marquants à mes yeux.

1. Le premier sommet… et le roulé au chocolat

2014. J’ai 19 ans et je m’apprête à disputer le Championnat d’Europe juniors. J’ai fait un deal avec ma grand-mère. L’un de ses gâteaux est extrêmement bon, c’est un roulé au chocolat. Elle ne le prépare qu’à Noël et chaque fois, c’est la guerre avec les cousins pour en avoir un bout. Mais elle me l’a assuré: en cas de médaille de bronze européenne, elle m’offrira un roulé, si je gagne l’argent, deux roulés – et si c’est l’or, ce sera trois.

Sur place, à Jérusalem, je ne débute pas les matchs de poule de la meilleure des manières. À un moment, j’ai une petite crise, je stresse pas mal. Mais ça passe quand même et au fil de la compétition, tout devient fluide, tout fonctionne. Contre une Française, mon entraîneur de l’époque, Hervé Faget, me dit de tenter une attaque que je ne réalise jamais. Mon niveau technique n’est pas extrême et pourtant je la réussis. Incroyable. À un autre moment, je suis coincée par mon adversaire en fin de piste. J’ai un pied dehors. Mon entraîneur et les copines dans les gradins me crient ‘pied, pied, pied!’, pour éviter que je sorte. C’est à cet instant-là que je réussis une touche au pied de mon adversaire.

Je remporte finalement la médaille d’or. C’est le premier grand succès de ma carrière sportive, les émotions sont magnifiques. Et quelques minutes après ma victoire, la première chose que je dis à mes copines, c’est… “J’ai gagné trois roulés au chocolat!”

Jorinde Müller (skicross), Corinne Suter (ski alpin), Pauline Brunner et Sarah Hornung (tir).

Après son titre européen, Pauline Brunner est élue Meilleur espoir romand féminin 2014 de l’Aide sportive et figure parmi les finalistes de la catégorie nationale: (d.g.à.d) Jorinde Müller (skicross), Corinne Suter (ski alpin), Pauline Brunner et Sarah Hornung (tir). (Keystone-ATS)

2. COVID: Le plus bas des bas

2020. Le coronavirus a débarqué et rien ne va plus. Le monde de l’escrime est en pause et moi, sans compétition, je ne vois plus le fun – ni l’objectif de m’entraîner au quotidien. À côté de ça, j’ai raté pour la deuxième fois un examen dans le cadre de mes études à l’université. Ce résultat a une lourde conséquence: échec définitif, je n’ai plus le droit de me représenter en psychologie. Il y a quelques années, j’avais commencé par la chimie, à l’EPFL puis à l’Université de Fribourg. Mais j’avais arrêté et décidé de choisir une autre branche. Cette fois, j’aimais vraiment ce que je faisais et j’étais proche de la fin de mon bachelor. Le coup est donc très dur à avaler. J’en ai marre de rater la moitié de ce que je fais.

En 2021, les compétitions reprennent enfin. Mais cela reste compliqué pour moi, du côté sportif également. Je n’ai pas réussi à me qualifier pour le tournoi de zone des Jeux Olympiques de Tokyo – ma dernière chance de me rendre aux Jeux. La remise en question est grande. Est-ce le moment de tout arrêter? Je suis à deux doigts.

“J’ai la chance d’avoir un mode de vie qui ne coûte pas cher. ”

Mais non. Finalement, avec la reprise des épreuves, j’ai au moins un nouveau but. Pourquoi ne pas continuer pour un cycle olympique, et tenter de me qualifier pour les Jeux de Paris 2024? Grâce à la pause COVID, j’ai réussi à économiser un peu d’argent. Avec l’Aide sportive, la Fondation Sport NE, la Loterie romande et quelques autres sponsors, je suis pour la première fois capable de me débrouiller sans le soutien financier de mes parents. Alors oui, mes revenus ne sont pas exorbitants et j’ai la chance d’avoir un mode de vie qui ne coûte pas cher. Mais justement, je finis par voir cette étape comme une chance – la chance de me consacrer entièrement à l’escrime.

“Est-ce le moment de tout arrêter? Je suis à deux doigts.”

“Est-ce le moment de tout arrêter? Je suis à deux doigts.” (Keystone-ATS)

3. Dans ma bulle

Avril 2024. Cette fois, j’ai réussi à me qualifier pour le tournoi de la zone européenne en vue des Jeux Olympiques de Paris. C’est déjà mieux que pour Tokyo, mais rien n’est encore fait. Sur les 24 participantes, seule la gagnante se rendra en France. En guise de préparation, mon entraîneur Paul Fausser, qui me connaît très bien, a décidé d’organiser un petit camp loin de la Suisse, entre nous, pour créer une bulle autour de moi. C’est probablement ce qu’il me fallait au bon moment.

“Qu’est-ce que tu fais, là? Tu veux aller aux Jeux Olympiques, ou non?”

Le jour de compétition, je suis encore dans cette bulle. Dans ma tête, je ne me pose pas trop de questions, j’arrive à créer une sorte de vide – les conditions idéales pour que je sois performante. Cela ne m’empêche pas d’avoir une grosse frayeur en demi-finale. À la pause, je suis en retard sur mon adversaire. Paul décide alors de tenter une stratégie ‘ça passe ou ça casse’. Il arrive vers moi et, presque méchant, m’engueule: “Qu’est-ce que tu fais, là? Tu veux aller aux Jeux Olympiques, ou non?” Cela me réveille et je finis par gagner le combat. Je l’ai dit, Paul me connaît parfaitement: parfois, il ne sert à rien de me caresser dans le sens du poil. À cet instant-là, il me fallait surtout remonter mon niveau d’agressivité: c’était un bon mouvement de sa part.

En discussion avec son entraîneur Paul Fausser.

En discussion avec son entraîneur Paul Fausser. (Keystone-ATS)

Je finis par remporter le tournoi. Au moment de la dernière touche, j’enlève mon masque et hurle de toutes mes forces. Tout le monde le fait en escrime, j’imagine que cela aide à relâcher toute la concentration, toute la tension accumulée. À cet instant-là, ma joie est immense, la plus grande de toute ma carrière. J’ai enfin mon ticket pour les Jeux Olympiques.

4. Paris: Vite, vite, vite

Juillet 2024. Les deux mois depuis ma qualification ont passé hyper rapidement. D’ordinaire, à part quelques téléphones avec des journalistes neuchâtelois, je n’ai pas vraiment l’habitude des médias. Cette fois, il y a plus de demandes et plus d’intérêt de toute part. Sur place également, tout va très vite. Je suis la première athlète suisse à rejoindre le village olympique, une semaine avant mon épreuve. Mais il y a tellement de choses à faire que je n’ai pas vraiment de temps pour moi. Un jour, nous allons visiter le Grand Palais, le site de l’escrime. Le bâtiment est incroyable, c’est beau, c’est fou – et presque stressant tellement c’est grand.

Ma compétition a lieu le 27 juillet, le lendemain de la cérémonie d’ouverture, à laquelle je n’ai donc pas participé. Je me retrouve contre l’Américaine Hadley Husisian. Je sais ce que je dois faire contre elle, mais je ne parviens pas à mettre mon plan à exécution. Le match est très serré. Les trois minutes de combat se finissent à égalité, 11-11. Tout se décidera en une touche.

“Perdre d’une touche est toujours violent, émotionnellement. Mais là, aux Jeux Olympiques, c’est encore pire. ”

La minute supplémentaire débute, la tension est à son comble. Malheureusement, mon adversaire me touche la première, après 16 secondes. Perdre d’une touche est toujours violent, émotionnellement. Mais là, aux Jeux Olympiques, c’est encore pire.

Je suis heureuse que ma famille et mes proches soient là pour me soutenir, me consoler. Mais je tombe tout de même dans une sorte de trou. Tout est allé si vite que j’ai du mal à réaliser que ce que j’ai vécu a vraiment eu lieu. Un soir, je vais voir la natation, toute seule, je suis encore déprimée. Puis je rentre en Suisse, et je me mets à regarder les Jeux Olympiques à la télévision. Je fais ma fan: je suis tous les sports, sauf l’escrime. Théoriquement, je pourrais retourner à Paris le 11 août, pour participer à la cérémonie de clôture. Mais je n’ai pas envie. Je préfère aller à la montagne, faire d’autres choses.

Quelques semaines plus tard, je ressens un peu de stress à l’idée de retourner à l’entraînement: vais-je retrouver l’envie? La réponse est oui. Après un mois de pause, je suis à nouveau motivée. C’est reparti pour un tour.  

Pauline Brunner (gauche) aux Jeux Olympiques de Paris 2024, dans l’impressionnant Grand Palais.

Pauline Brunner (gauche) aux Jeux Olympiques de Paris 2024, dans l’impressionnant Grand Palais. (Keystone-ATS)

5. Ensemble, c’est encore mieux

Juin 2025. Championnat d’Europe à Gênes, en Italie. Avec Fiona Hatz et les sœurs Aurore et Angeline Favre, nous prenons part à la compétition par équipe. Ce sera la dernière de notre coach national Paul Fasser, qui a décidé de prendre un nouveau départ.

Petit à petit, nous réalisons que les étoiles semblent alignées: nous sommes dans un très bon jour. À notre niveau, si nous voulons battre les meilleures, nous n’avons pas le choix. En plus, l’ambiance au sein de l’équipe est excellente: nous stressons et rions ensemble. Les victoires s’enchaînent et nous perdons seulement en finale, contre l’Ukraine. C’est une médaille d’argent!

“En équipe, les émotions sont décuplées, beaucoup plus grandes. ”

Lorsque je tire en équipe, je ressens plus de pression qu’en individuel. Parce que je ne tire pas seulement pour moi. Mais lorsqu’on le gagne en équipe, les émotions sont décuplées, beaucoup plus grandes. Ce moment est magnifique.

Le fait d’offrir une médaille à Paul pour sa dernière nous comble encore davantage. Je n’ai travaillé avec lui que durant quelques années, mais je le connais depuis longtemps, depuis son passage à la Chaux-de-Fonds. À ses côtés, j’ai vécu mes plus beaux moments d’escrime. Avec le temps, il est devenu pour moi plus qu’un entraîneur – un véritable ami. Onze ans après mon titre juniors, je suis tellement heureuse de partager cette nouvelle médaille européenne avec lui et mes coéquipières.

Fiona Hatz, Aurore Favre, Angeline Favre et Pauline Brunner remportent la médaille d’argent à l’épée au championnat d’Europe 2025.

“Par équipe, les émotions sont décuplées”: (d.g.à.d.) Fiona Hatz, Aurore Favre, Angeline Favre et Pauline Brunner remportent la médaille d’argent à l’épée au championnat d’Europe 2025. (Keystone-ATS)

Sans compétition, plus de fun

En introduction, je disais qu’au cours de ma carrière j’avais vécu des hauts – mais aussi des bas. Oui, j’ai vécu des moments compliqués, douloureux – et financièrement, il n’est pas évident de vivre de ce sport peu médiatisé. Et pourtant, près de 25 ans après mes débuts en tant qu’enfant, je continue l’escrime. Pourquoi cela, me direz-vous?

En escrime, plus je réfléchis et moins je suis bonne. Au contraire, plus je laisse parler mon intuition, et meilleure je suis. Je crois que dans la vie, je fonctionne aussi en peu comme ça: j’essaie de vivre le moment présent et d’aller de l’avant, sans me poser trop de questions. C’est sans doute l’une des facteurs qui m’a amené à ne jamais lâcher – en plus de mon amour pour l’escrime, évidemment.

“J’aime profondément la compétition et les émotions qu’elle procure – qu’elles soient bonnes ou mauvaises. ”

Mais il existe aussi un autre aspect qui explique mon parcours. J’aime profondément la compétition et les émotions qu’elle procure – qu’elles soient bonnes ou mauvaises. Ces émotions, je ne les retrouve pas dans la vie de tous les jours – ou elles ne m’affectent pas de la même manière. C’est aussi ce qui me fait continuer, avancer au quotidien. Et désormais, je donnerai tout pour vivre les émotions de Los Angeles 2028.»

Propos recueillis par Fabio Gramegna, équipe Médias de Swiss Olympic

Portrait Pauline Brunner Paris 2024

(Keystone-ATS)

L’escrimeuse Pauline Brunner est née en décembre 1994 dans le canton de Neuchâtel et pratique la discipline de l’épée. Parmi ses succès internationaux figurent notamment un titre de championne d’Europe junior en 2014, deux podiums de coupe du monde en 2024 et une médaille d’argent européenne par équipe en 2025. Après une édition sans Suissesse à Tokyo en 2021, elle a participé aux Jeux Olympiques de Paris 2024, aux côtés du Valaisan Alexis Bayard. En septembre 2025, elle occupe la 27e place du classement mondial.