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À mon étoile filante
Aux Jeux Olympiques de Tokyo en 2021, le cavalier suisse Robin Godel vivait un rêve éveillé en compagnie de Jet Set. Jusqu’à ce qu’une blessure mette brutalement fin à leur aventure commune. Dans ce témoignage personnel, il revient sur la mort de son cheval, les attaques qui ont suivi sur les réseaux sociaux et le lien profond qui l’unit à ses partenaires de compétition. Un regard sincère sur les réalités des sports équestres, entre passion, responsabilité et respect de l’animal.
«Jeux Olympiques de Tokyo, 1er août 2021. Je suis en selle sur mon fidèle Jet Set. Jusqu’à présent, tout s’est déroulé sans accroc dans le pays du Soleil levant. La discipline du dressage passée, nous sommes fins prêts pour le cross, la deuxième des trois épreuves du concours complet.
C’est parti! Nous nous lançons au galop. Jet Set avance à vive allure, survole les obstacles sans encombre. Je le sens, et les vétérinaires sur place l’ont confirmé, il est en forme: je ne prends jamais de risque lorsque je vois que l’un de mes compagnons n’est pas en pleine possession de ses moyens.
Soudain, alors que nous nous approchons des derniers sauts, je remarque que quelque chose ne tourne pas rond. Jet Set ne galope plus de la même façon, il semble gêné. Aucune chute à signaler, pourtant, mais je l’arrête aussitôt.
Les choses vont alors très vite, le staff sur place nous organise une remorque, pour transporter Jet Set à la clinique. Quelques tests plus tard, le verdict – tant redouté – tombe: il s’agit d’une rupture de ligament de la jambe avant. Mon équipe, les vétérinaires et moi-même n’avons pas besoin de tergiverser bien longtemps. Dans ce genre de cas, il n’est malheureusement pas possible de sauver le cheval.
Une guérison de Jet Set nécessiterait de l’immobiliser dans un box avec une sangle, pour éviter tout poids sur sa jambe – pendant des mois, voire des années. Fini les balades, fini les mouvements: un être humain resterait tranquille, ne poserait plus la jambe et la question serait réglée. Un animal non, il ne comprendrait pas, souffrirait beaucoup trop.
Nous n’avons tout simplement pas le choix, nous décidons de l’euthanasier.
Je veux rester à ses côtés, pour ses derniers instants. D’abord, une dose pour l’endormir, tranquillement, sans douleur. Puis une autre dose – fatale.

Robin Godel et Jet Set lors de l’épreuve du cross-country des Jeux Olympiques de Tokyo en 2021. (Hippo Foto - Dirk Caremans)
Ma tristesse est immense. Je considérais Jet Set comme un ami – comme tous mes autres chevaux d’ailleurs. Je ne peux retenir mes larmes. C’était un tel bonheur de participer à ces premiers Jeux Olympiques avec lui. Ensemble, nous nous étions qualifiés avec panache. En quelques secondes, notre rêve olympique s’est transformé en cauchemar.
Ma mère et mon équipe sont là pour me soutenir, mais je ressens aussi le besoin d’être seul. Je rentre au village olympique et me réfugie dans ma chambre, pour tenter d’encaisser le coup. L’annonce officielle du départ de Jet Set ayant été faite, je décide également de publier un post sur mes réseaux sociaux. Je souhaite lui rendre un dernier hommage, et informer toutes les personnes qui me suivent.
Mais je ne m’attendais pas à ça…
«C’est toi qui mérites l’euthanasie»
Là encore, tout va très vite. En quelques heures, les réactions affluent, par dizaines, par centaines, des commentaires, des messages privés. Certaines personnes me soutiennent, m’écrivent des mots réconfortants. D’autres me visent directement, avec virulence. «On va te retrouver», «C’est toi qui mérites l’euthanasie», «Tu n’es qu’une merde, le cheval est mort parce ce qu’il était obligé de concourir».
Au chagrin du deuil s’ajoute la souffrance d’être la cible d’attaques violentes, de menaces d’individus qui ne semblent pas connaître grand-chose aux sports équestres. Ma publication est finalement supprimée par Instagram, sans avertissement – je ne sais pas précisément pourquoi. Elle réapparaitra longtemps plus tard.

L’une des photos publiées par Robin Godel sur les réseaux sociaux, quelques heures après le départ de Jet Set.
Faire perdurer notre sport
Deux semaines après Tokyo, j’ai décidé de publier un nouveau message sur les réseaux sociaux, pour mettre les choses au clair. Non, nous n’avons pas euthanasié Jet Set pour l’assurance, comme certains l’ont prétendu, il n’était pas assuré. Non, nous ne pouvions pas le sauver, il n’y avait pas d’alternative. Non, Jet Set n’est pas mort en raison de la compétition elle-même, cela aurait pu lui arriver n’importe quand, durant une balade, ou au parc.
Évidemment, les personnes opposées aux sports équestres n’ont probablement pas changé d’avis en lisant mes quelques lignes. Mais je suis désormais bien conscient que notre sport est très observé: pour le faire perdurer et le garder au programme des Jeux Olympiques, nous – les passionnés d’hippisme – devons agir, communiquer et sensibiliser au mieux en matière de bien-être animal. C’est ce que j’essaie de faire au quotidien, à mon échelle.
Vivre leur vie de cheval
Comme je le mentionnais plus haut, je considère mes chevaux comme des amis et non comme des outils. Pour moi, le plus important est qu’ils puissent vivre leur vie de cheval. Cela passe notamment par de nombreuses heures à l’extérieur. Les chevaux restent des animaux sauvages, qui aiment passer du temps dehors, dans la nature – c’est essentiel pour leur mental et leur envie. Je fais également très attention à ne pas les surentraîner. En règle générale, je les monte environ 45 minutes par jour, cinq à six fois par semaine. Cela leur laisse un ou deux jours de congé hebdomadaires. Après les concours, je leur accorde davantage de repos.

Robin Godel sur Grandeur de Lully aux Jeux Olympiques de Paris 2024. (Keystone-ATS)
Je varie le programme en fonction de chaque cheval: tous ont leur caractère, leurs particularités. Grandeur de Lully, avec qui j’ai participé aux Jeux Olympiques de Paris 2024, a par exemple tendance à économiser ses forces. Avec lui, il est donc important de proposer des exercices qui le motivent: des balades en extérieur, du galop. Global, que je prépare en vue de Los Angeles 2028, est lui beaucoup plus chaud, plus énergique. Lui a besoin de se dépenser. Je le laisse d’abord sortir toute cette énergie, pour qu’il puisse se concentrer par la suite.
Un cavalier se doit de connaître ses chevaux par cœur. Le processus d’apprentissage – pour former un véritable duo – prend environ une année. Les débuts ne sont pas toujours simples. Il faut beaucoup de patience et de persévérance pour instaurer une relation de confiance. De nature, Grandeur de Lully est très peureux. Lorsqu’on le voit en action, on pourrait le penser capable de sauter n’importe quel obstacle, mais il est sur la réserve. Au début, j’étais souvent surpris de ses réactions rapides, il partait de côté, je tombais régulièrement. Il a fini par devenir l’un de mes meilleurs atouts, j’ai eu beaucoup chance de l’avoir.

Avec Ilario des Tours à l’Institut équestre nationale d’Avenches (IENA).
Jamais sous la contrainte
Je n’ai jamais abandonné un cheval, parce qu’il me semblait trop difficile. C’est au cavalier de s’adapter à l’animal et non l’inverse. Les chevaux sont des éponges à émotion, très réceptifs à ce qui les entoure: si leur cavalier est un peu stressé ou énervé, ils le sentiront tout de suite. Même si j’ai la chance d’être de nature calme, c’est aussi avec les années que j’ai appris à le devenir. Et c’est en travaillant avec de nombreuses montures que l’on parvient à s’adapter le mieux et le plus rapidement possible à chaque animal. L’hippisme est un sport d’expérience: le champion olympique de saut de Rio 2016, Nick Skelton, avait 59 ans.
Certains chevaux sont moins sensibles que d’autres. Mais les meilleurs compétiteurs sont souvent les plus spéciaux: il faut aussi un grain de folie pour être performant.
Enfin, on l’oublie parfois, mais les chevaux ont une force physique bien supérieure aux êtres humains. Un cheval ne pourrait jamais réussir ce qu’il fait en concours sous la contrainte. S’il dit non, c’est non: impossible de le faire changer d’avis. Les chevaux de compétition sont donc des partenaires motivés, qui ont plaisir à participer. Je le note moi-même avec les miens: quand nous arrivons sur un concours, je les vois tout énergiques, tout enthousiastes. Leurs émotions passent par leur langage corporel. Un cheval déprimé aura la tête en bas. Un cheval nerveux bougera beaucoup, les oreilles en arrière. Et lorsque mon cheval est heureux, je le perçois surtout dans son œil.

Le tatouage de Robin Godel, réalisé en l’honneur de son cheval Jet Set.
Pour la vie
Enfant déjà, j’accompagnais régulièrement ma mère à l’écurie, elle possédait plusieurs chevaux. Au début, ce qui m’intéressait c’était surtout de les brosser, de m’en occuper. Cet amour de l’animal ne m’a pas quitté depuis. D’ailleurs, j’ai choisi le concours complet en réalisant que l’une de mes forces résidait dans ma relation avec mes chevaux. Ce lien entre le cavalier et l’animal est primordial dans cette discipline très variée.
Aujourd’hui, le temps m’a aidé à prendre de la distance avec ma douloureuse expérience de 2021. Cet été, cela fera quatre ans que Jet Set n’est plus là. Mais je pense encore très régulièrement à lui.
Quelques mois après les Jeux de Tokyo, je me suis fait tatouer sur le bras des anneaux olympiques, avec une étoile filante sur le dessus – le symbole de Jet Set. Il était important pour moi de le faire – pour garder au quotidien un souvenir positif de lui. Cette épreuve m’a marqué à vie. Ce cheval aussi.»
Propos recueillis par Fabio Gramegna, équipe Médias de Swiss Olympic

Keystone-ATS
Quatrième pour ses deuxièmes Jeux Olympiques
À 26 ans, le Fribourgeois Robin Godel est d’ores et déjà sept fois champion suisse de concours complet. Aux Jeux Olympiques de Paris 2024, Mélody Johner, Felix Vogg et lui-même avaient d’abord décroché la cinquième place du concours complet par équipe, avant de monter au quatrième rang en raison de la disqualification de la Belgique. «Pour mon équipe et notre discipline, terminer au pied du podium plutôt que cinquièmes aux Jeux Olympiques fait une différence. Grâce à cette place gagnée, nous avons notamment reçu une prime plus importante et une Swiss Olympic Card de catégorie plus élevée. Ce soutien supplémentaire va nous aider dans notre préparation en vue de Los Angeles 2028, ce qui est très encourageant», explique Robin Godel.
Une discipline très variée – et très encadrée
Le concours complet est une discipline qui réunit trois épreuves: le dressage, le cross-country et le saut. Les compétitions de sports équestres se déroulent toujours sous l’œil avisé de stewards, personnes chargées notamment de s’assurer du bien-être et de la santé des chevaux. En Suisse, la fédération Swiss Equestrian dispose de son propre Code d’éthique.
Découvrez notre vidéo avec Robin Godel: